Les dessous de l'authentique raclette
Les dessous de l'authentique raclette
Des Valaisans en transhumance
Le calme règne à la fromagerie Seiler, située entre les lacs de Sarner et de Lungern, au pied des montagnes. Le calme devrait toutefois être de courte durée: deux Valaisans s'apprêtent à fouler les terres de Giswil, dans le canton d'Obwald. Dans leur baluchon, pas grand-chose: une meule de fromage, un four à raclette traditionnel et un couteau à raclette.
Alexander et Nicolas Walker, de la fromagerie de montagne Walker, à Bitsch, sont des puristes de la raclette. Les Valaisans ont aujourd'hui une mission: montrer au reste de la Suisse comment se prépare la vraie raclette. Ils viennent même se frotter à leurs pires ennemis: les Obwaldiens, qui ont le culot de dire que ce sont eux qui ont inventé la raclette! Mais nous y reviendrons plus tard. D'abord, place à la Raclette battle!
Face à eux, leurs hôtesses et adversaires, Gabriela Frei et Salome Aggeler, de la fromagerie Seiler, spécialiste de la raclette. Mère et fille n'en démordent pas: leur recette est l'authentique. Elles vont leur montrer, à ces Valaisans, qui a raison.
Les protagonistes
Gabriela Frei (55 ans) est co-propriétaire de la fromagerie Seiler, à Giswil (OW). 95% de leur production se composent de fromage à raclette.
Salome Aggeler (30 ans) fait partie du conseil d'administration de la fromagerie Seiler.
Alexander Walker (56 ans) est co-propriétaire et co-directeur de la fromagerie Walker, à Bitsch (VS), qui produit 60 à 70% de raclette.
Nicolas Walker (29 ans) fait partie de la troisième génération à diriger l'entreprise familiale.
Pomme de discorde #1: le fromage
L'accueil est étonnamment chaleureux: les spécialistes de la raclette se sont déjà rencontrés lors de foires. Malgré tout, ils ne s'entendent même pas sur la base: le fromage.
Dans l'idéal, le fromage à raclette est fabriqué à partir de lait cru et est nature, deux points non négociables pour les Walker. "Ce qu'on aime, c'est ce goût très présent du lait non traité." Ou plus précisément: "Le bon goût de l'herbe fraîche que mangent les vaches." Auquel s'ajoute la saveur sucrée de l'essence de mélèze. Car en Valais, la raclette est traditionnellement préparée au feu de bois de mélèze. "Les autres arômes n'apportent rien", assurent le père et le fils.
Quel ennui!
Et voilà un premier coup porté à l'équipe obwaldienne. Le fromage à raclette produit par la maison Seiler – traditionnellement fabriqué à partir de lait pasteurisé – se décline en douze arômes: du fromage au poivre à la saveur fumée en passant par l'arôme de thym citronné. "Mais le goût du fromage est toujours celui qui domine", souligne Gabriela Frei. Les arômes artificiels sont aussi tabous. "L'arôme de fumé, par exemple, est produit dans le fumoir du boucher." Gabriela Frei ne le dirait jamais, mais son regard sur le fromage des Walker en dit long: quel ennui!
Lait cru vs lait pasteurisé
L'avantage du lait pasteurisé, c'est la constance du goût: une variété de fromage aura ainsi toujours le même goût. C'est un élément important, notamment dans la restauration. Le goût du raclette au lait cru sera quant à lui moins régulier. Car l'alimentation des vaches – des plantes de montagne en été, du foin en hiver – parfume le lait non traité.
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Pomme de discorde #2: la préparation
L'équipe d'Obwald mise sur une ambiance romantique, avec des tranches de raclette à faire fondre dans un poêlon à la lueur des bougies à réchaud. "C'est bien plus convivial que de racler, encore et toujours, la demi-pièce de fromage", explique Gabriela Frei en jetant un œil au bout de la table. "Et il n'y a pas qu'une seule personne qui travaille."
Et justement, au bout de la table, Nicolas Walker sort la demi-meule du traditionnel four à raclette valaisan, qui se compose d'un porte-fromage et d'un gril. "Chez nous, tous les jeunes mariés reçoivent un four comme celui-là à leur mariage", assure Alexander en riant. Le fromage fait des bulles, Nicolas prend son couteau à raclette et racle – avec une joie non dissimulée – une portion de raclette dans l'assiette préchauffée.
Un chef d'orchestre
Face à la remarque de Gabriela Frei, Alexander Walker contre-attaque: "En principe, les racleurs se relaient". Les Valaisans se répartissent ainsi le travail, mais aussi la responsabilité: "Le racleur est comme le chef d'orchestre: c'est lui qui donne le tempo de la raclette", explique Walker père. "La raclette valaisanne est de la Slow Food. Il est essentiel de faire des pauses entre chaque assiette." La durée idéale de cette pause? "Le temps de raconter une bonne blague."
L'art de la raclette: les astuces des pros
Une demi-heure avant de le préparer, sortez le fromage du frigo et de son emballage. Les arômes pourront ainsi pleinement se déployer.
Attention à ne pas surchauffer le fromage, qui risque sinon de rendre beaucoup de gras et de devenir caoutchouteux.
Si vous utilisez un four à raclette traditionnel, veillez à laisser un espace suffisant entre le gril et le fromage, soit la hauteur de deux doigts environ.
Posez les assiettes sur le four traditionnel pour les préchauffer.
Pomme de discorde #3: les accompagnements
Lorsque vient le moment de commenter les accompagnements des Obwaldiens, grand blanc: les mots manquent au Valaisan d'ordinaire si bavard. Il finit par dire diplomatiquement "trop de choix". Et pour cause: pain, pommes de terre, poivre et un chutney de pomme fait maison – la recette secrète de Gabriela Frei. "Les pommes et la raclette se marient parfaitement", dit-elle. Et elle doit bien le savoir, elle qui a créé en Suisse la formation de "sommelier du fromage". "Les sommeliers décrivent les fromages et conseillent les meilleurs accords." Et le fromage à raclette se marie avec tellement de choses! "Avec les champignons et les lardons aussi", ajoute sa fille.
Le vin préféré de Tina Turner
De la viande avec la raclette? Une hérésie totale en Valais! "On peut éventuellement manger un peu de viande séchée valaisanne pour l'apéritif", concèdent les Walker, "mais après, fini la viande! Pour nous, c'est le fromage qui est au cœur de la raclette." De ce côté de la table, les couleurs dans l'assiette sont donc limitées: du fromage, des pommes de terre, des petits oignons, des cornichons, et c'est tout. "Ces accompagnements rendent le plat plus digeste." Et naturellement, du vin. "Avec la raclette, on boit du vin blanc", précise Alexander Walker. "Idéalement de l'Heida de Visperterminen, qui est, pour la petite anecdote, le vin préféré de Tina Turner."
"Nous avons désormais le label AOP en Valais, pour notre identité, et une multitude d'autres variétés de fromages à raclette. C'est un dénouement heureux."
Pomme de discorde #4: qui l'a inventée?
"Simply the best": cette devise s'applique au fromage à raclette valaisan depuis belle lurette. "La recette est un hit depuis 1574", affirme Alexander Walker, en se référant aux premières traces écrites qui attestent de la raclette dans le Val de Bagnes . Pour lui, il est indéniable que ce sont les Valaisans qui ont inventé ce plat traditionnel. Encore un point de discorde avec leurs homologues suisses allemands!
Car pour ces derniers, une chose est sûre: la raclette est née dans le canton d'Obwald. "Nos plus vieux documents remontent au XIIe siècle", explique Salome Aggeler.
Des traditionalistes modernes
Les Obwaldiens ont peut-être inventé le Bratkäse (littéralement le fromage rôti), mais pas la raclette, ripostent les Walkers – et nous voilà reparti dans la "bataille" de la raclette. Entre 2003 et 2007, les Valaisans ont essayé de s'approprier le terme "raclette": seul leur fromage nature produit à base de lait cru aurait alors pu porter le nom de "raclette". Cette requête a été rejetée par le Tribunal fédéral. Depuis, l'appellation "Raclette du Valais AOP" protège le fromage à raclette valaisan.
Mais, soit dit entre nous, la défaite devant le juge n'attriste pas réellement les Walker. Alexander Walker met le mode Battle en pause: "Nous avons désormais le label AOP, pour notre identité, et une multitude d'autres variétés de fromages à raclette. C'est un dénouement heureux." Les Walker vendent eux aussi du fromage à raclette au lait thermisé. "Nous sommes des traditionalistes modernes."
20 infos sur la raclette
À la raclette!
Et si tout ça n'était finalement qu'une excuse pour trinquer à la santé de l'autre – avec de l'Heida du Valais, s'entend. À la raclette! Valaisanne ou d'ailleurs en Suisse, en demi-meule ou en tranches, avec ou sans accompagnements: au final, n'est-ce pas qu'une question de goût?
Chutney de pomme de Gabriela Frei
500 g de pommes pelées et coupées en dés
200 ml de vinaigre de pomme
100 g de sucre brun
100 g d'oignons finement hachés
10 g de gingembre râpé
½ cc de sel marin
½ cc d'épices pour pain d'épices
1 cc de jus de citron
50 g de sucre gélifiant
piment (facultatif)
Porter le vinaigre et le sucre à ébullition, ajouter tous les ingrédients à l'exception du sucre gélifiant. Laisser mijoter 40 min. Les morceaux de pommes doivent rester légèrement al dente et le liquide doit avoir presque entièrement réduit.
Incorporer le sucre gélifiant et porter brièvement à ébullition. Laisser mijoter 5 min à feu doux et verser le mélange encore chaud dans des bocaux stérilisés. Le chutney est prêt!
Du lait pour les oreilles
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