"La nourriture ne s'obtient pas comme ça."
"La nourriture ne s'obtient pas comme ça."
Qui est Sabine Heide?
Sabine Heide travaille chez Swissmilk depuis 2020; elle est responsable des nouvelles recettes et des contenus culinaires. Elle boit son café sans lait, mais ne dit jamais non à un morceau de fromage. Si elle devait choisir une recette parmi les 9000 du site de Swissmilk, ce serait les lasagnes aux marrons et au chou rouge.
Nous travaillons tous les deux chez Swissmilk, mais à des étages différents et nous nous croisons rarement. Dis-moi Sabine: qui es-tu?
J'ai fait un apprentissage de confiseuse en Allemagne, puis des études en technologie alimentaire avec une spécialisation en marketing. J'ai rejoint Swissmilk il y a deux ans et je suis responsable des recettes.
Tiens, je ne savais pas que tu avais étudié le marketing. Et pourquoi avoir choisi Swissmilk?
La place était libre et c'était proche de chez moi (elle rit). Non, plus sérieusement, grâce au poste que j'occupe, je fais quelque chose de mes mains, et j'en ai besoin. Et puis, ce travail correspond parfaitement à mes études. J'ai des tâches très variées.
Dis-nous ce que tu fais exactement.
Je fais tout ce qui a trait aux plaisirs de la table. Concrètement, je réfléchis à des recettes que je crée, mets en scène, cuisine, et que j'améliore par la suite. Je réponds aussi à toutes les questions culinaires de mes collègues et des consommateurs·trices. En un mot, pour tout ce qui touche à la nourriture chez Swissmilk, j'ai été impliquée à un moment ou à un autre.
Est-ce que tu crées seule toutes les recettes?
Non. Ce que je fais notamment, c'est de suivre les tendances food du moment. Je me rends à des manifestations et à des salons, je cherche sur internet ou consulte les magazines. Mon travail comporte aussi de la planification et des tâches stratégiques. Avec l'équipe cuIinaire, nous faisons des recherches, fixons les thèmes prioritaires, regardons avec d'autres départements de chez Swissmilk comment les traiter et les diffuser, etc. Écrire des recettes n'est qu'une petite partie de mon travail.
Du coup, qui rédige les recettes?
La moitié des recettes environ est créée à l'interne, par mes collègues et moi-même. L'autre moitié est réalisée à l'aide de collaborateurs·trices externes: autrices de recettes professionnelles, photographes, stylistes… Un petit nombre de recettes Swissmilk provient aussi des femmes paysannes, qui en écrivent pour nous. Mais souvent, nous nous basons sur les recettes existantes. Ce n'est pas comme les produits: pas besoin d'innover à chaque fois. Il suffit parfois d'apporter quelques changements, de créer de nouvelles associations, et on obtient une nouvelle recette.
C'est-à-dire?
La pâte levée sera toujours la même. C'est aussi plus facile pour nos utilisateurs·trices, qui la connaissent avec le temps. Mais je peux utiliser la pâte levée sous différentes formes et avec différentes garnitures. Et paf, ça fait une nouvelle recette.
J'ai entendu dire que certaines recettes étaient nées par hasard. Tu as un exemple?
Je vois que les informations circulent (elle rit). Lors d'un shooting, nous avons discuté de la différence entre un pesto et un beurre aux herbes. On en est venus à se demander si on peut faire un pesto avec du beurre. J'étais d'avis que non. Mais j'avais tort et nous avons ainsi créé spontanément un pesto au beurre.
Le résultat: pesto vert au beurre
- 30min
- Veggie
Pesto au beurre, un bon mot-clé… Dois-tu vraiment utiliser un produit laitier dans chaque recette?
Oui. Avec quelques exceptions comme les étoiles à la cannelle, par exemple. Mais je ne le vois pas comme une contrainte. La variété des produits laitiers est telle qu'il y en a toujours un qui convient. Et la plupart du temps, la recette en comporte déjà un d'office.
Et parfois, ça fait le buzz. La recette qui déchaîne les passions sur les réseaux sociaux et est devenue la bête noire de nos collègues du community management, ce sont les carbonara à la crème.
(elle rit) Oui! Alors que je connais beaucoup de personnes qui trouvent les carbonara sans crème trop secs.
Et quel est ton avis?
Les carbonara ont une place particulière dans mon cœur. Ils étaient dans mon livre de cuisine pour enfants et je les faisais déjà à l'âge de sept ans. J'ai appris bien plus tard quelle était la véritable recette traditionnelle. Les carbo de mon enfance, c'était des œufs brouillés avec des spaghettis. Mais c'était bon (elle sourit)!
Bien. Les produits laitiers sont de rigueur. Y a-t-il encore d'autres directives et critères pour le choix des recettes?
Nous veillons à ce que les quantités pour une recette, dans la mesure du possible, correspondent à un emballage habituel. Surtout pour les denrées périssables, comme les produits laitiers. On va par exemple utiliser 150g de yogourt ou 2,5dl de demi-crème. Le but principal étant d'éviter le gaspillage alimentaire. Et très honnêtement: moi non plus, je n'aime pas avoir des produits entamés dans mon frigo dont je ne sais pas quoi faire ensuite.
Et puis, nous avons deux critères essentiels: nous voulons faire de la cuisine locale et de saison. Il est important pour nous que la majorité des produits viennent de Suisse. Bien sûr, dans le cas des épices par exemple, c'est rarement possible. Mais ça fonctionne pour beaucoup de produits. Quels aliments trouve-t-on chez nous et que peut-on en faire? Quant à l'aspect saisonnier: je ne vais jamais associer un légume d'hiver et un légume d'été dans une même recette. Tout simplement parce qu'ils ne sont pas disponibles au même moment. On veille à respecter ce critère jusqu'aux herbes aromatiques – qui sont rares en hiver.
N'est-ce pas dommage de renoncer à tant de produits?
Je vois les choses autrement. Le fait que tout ne soit pas disponible tout le temps a son charme. L'attente grandit, et je profite encore plus des produits après. La nourriture ne s'obtient pas comme ça. Elle mérite d'être valorisée.
Question bête: au Tessin, une huile d'olive italienne n'est-elle pas plus locale qu'une huile de colza du Plateau? Autrement dit: nous arrêtons-nous aux frontières de notre pays?
Oui. Nous faisons partie d'une association agricole suisse et nous soutenons donc naturellement la production suisse, ainsi que la création de valeur qui en découle.
Revenons au sujet de la création: nous proposons 9000 recettes de cuisine en ligne. Est-ce que Swissmilk (ou toi) avez pour objectif d'en développer le plus possible?
Comparés à d'autres sites de recettes en ligne, nous sommes une petite équipe. Mais nous essayons de produire environ 200 recettes par année. Nous devons rester au goût du jour. Quand arrive la saison des fraises suisses, par exemple, nous voulons avoir une ou deux nouvelles recettes sous la main et montrer qu'à côté de la traditionnelle tarte aux fraises, nous proposons aussi de nouvelles idées.
9000 ne veut donc pas dire que c'est fini.
Oh non! Il nous manque d'ailleurs encore des recettes de base. En particulier pour ce qui est de la Suisse romande. Sur notre site, on ne trouve pas toutes les recettes populaires chez les Romands. Nous souhaitons bien sûr remédier à cela.
Sur swissmilk.ch, on ne trouve pas de recette d'utilisateurs·trices, et les coopérations sont rares. Pourquoi? Cela permettrait d'augmenter rapidement le nombre de recettes.
C'est vrai. Nous écrivons toujours nos recettes nous-mêmes. Pour nous, il est très important que nos recettes soient simples et inratables. Qu'elles marchent sans prise de tête. Bien sûr, on va piocher des idées à gauche à droite, mais on les écrit nous-mêmes.
Notre but n'est pas d'avoir un menu 5 étoiles, mais d'être sur les tables tous les jours.
Simples et inratables. On ne verra donc jamais un·e chef·fe étoilé utiliser une recette Swissmilk, parce que trop banale?
En effet, c'est peu probable. Mais que veut dire banal? Une recette simple ne signifie pas que le résultat ne sera pas bon. Notre but n'est pas d'avoir un menu 5 étoiles, mais d'être sur les tables tous les jours. Parce que chaque jour, on se demande tous et toutes ce qu'on va cuisiner. L'aspect pratique est un critère important pour nous.
Tu as parlé de tendance avant. Sommes-nous à la pointe des tendances chez Swissmilk?
Pas toujours. Certaines recettes étaient d'actualité il y a 20 ans et sont toujours dans notre recueil, mais elles sont restées "dans leur jus". Nous ajoutons bien sûr des recettes du moment, et en retravaillons d'autres dans notre base. Parfois, il suffit de couper les légumes en dés plutôt qu'en tranches, de modifier quelques ingrédients, et la recette rajeunit.
À quoi ressemblera l'avenir?
En ce qui concerne Swissmilk, je dirais plus jeune et plus moderne, mais aussi plus sain. Le plus grand défi, c'est de rester dans l'air du temps. Et ce n'est pas toujours facile. Pendant longtemps, la tendance était de cuisiner en avance pour emporter son repas au bureau. Le batch cooking et les salades à l'emporter étaient très demandés. Puis il y a eu le Covid-19. Tout d'un coup, les gens voulaient faire leur pain maison et trouver des idées pour occuper leurs enfants. Changement total de décor. Continuer de savoir ce que veulent les gens: voilà notre défi pour les années à venir.