Des petits grains donnent naissance à l'Appenzeller

Dès l'entrée dans la fromagerie, une odeur aigre-douce typique envahit immédiatement les narines. Le maître fromager Alois ("Wisi") Pfister y est habitué depuis longtemps, lui qui a pratiquement grandi dans la fromagerie de démonstration de Goldingen (SG). Son arrière-grand-père fabriquait déjà du fromage entre ces murs. Plus d'un siècle plus tard, "Wisi" est la quatrième génération à diriger la fromagerie et forme également les futurs technologues du lait, parmi lesquels se trouve Kevin.

En ce mercredi matin, l'apprenti passe, par des mouvements réguliers, un tranche-caillé en inox à travers la masse de lait coagulé dans la grande cuve en cuivre. Petit à petit, de petits grains se forment: c'est le caillé. À la fin, ce sont ces petits morceaux qui seront utilisés pour fabriquer de l'Appenzeller de première qualité. Mais le reste ne partira pas à la poubelle.

De la ricotta au Rivella

Les mouvements de Kevin avec le tranche-caillé produisent également du petit-lait, un liquide jaune-verdâtre qui se sépare lors du caillage du lait. Cela ne veut pas dire que le petit-lait est inutile: on peut en faire de la ricotta ou du sérac, mais aussi de la sauce à salade ou de la mayonnaise. Rivella a créé une boisson typiquement suisse à base de lactosérum, obtenu à partir du petit-lait. Et un fabricant suisse de cosmétiques recycle même le petit-lait pour en faire des crèmes pour les mains et le corps.

Polyvalent et sain

Le petit-lait doit sa polyvalence à ses diverses vitamines, à ses minéraux importants comme le calcium, le fer et le zinc, ainsi qu'à sa faible teneur en matière grasse et en calories. Au XVIIIe siècle déjà, le petit-lait était considéré en Suisse comme un produit diététique. On lui attribuait même des vertus médicinales. Dès lors, les cures de petit-lait ont connu une grande popularité.

Tirer profit des protéines

Le petit-lait se distingue également par sa teneur en protéine. Ce nutriment remplit une multitude de fonctions dans le corps humain, telles que la formation et le renouvellement des cellules du corps. Les protéines jouent un rôle décisif dans le développement musculaire, c'est pourquoi les sportifs·tives professionnels sont tributaires d'une alimentation riche en protéines. Quel rôle le petit-lait peut-il jouer dans ce contexte?

Doris Erne (42 ans) et Christian Studer (43 ans) se sont posé cette question il y a environ six ans déjà. À l'époque, les deux sportifs amateurs de Jona (SG) se tournaient vers les produits protéinés traditionnels pour être en forme pour leur prochaine séance de crossfit ou leur randonnée en VTT. Cependant, comme Doris travaillait dans le secteur alimentaire, elle savait que ce n'était pas une solution optimale: "Ces produits contiennent souvent des conservateurs ou des édulcorants douteux."

"Wheycation: Le petit-lait, base de tous les produits

Les fabricants internationaux ne misent généralement pas sur les produits régionaux, et ce pour autant que la liste des ingrédients permette de connaître la provenance de ces derniers. Doris et Christian ont donc commencé à chercher une alternative pour couvrir leurs besoins "sportifs". Ils ont fini par trouver une alternative plus saine, au meilleur goût et qui contient autant que possible des ingrédients locaux et biocompatibles: le petit-lait.

Désormais, ils peuvent dire avec fierté qu'ils ont trouvé ce qu'ils cherchaient. Sous la marque "Wheycation", leur entreprise Lokalgenuss SA produit des poudres protéinées et du porridge dans divers arômes pour les fans de sport. Comme son nom l'indique, le petit-lait (en anglais "whey") est à la base de tous leurs produits et provient uniquement de fromageries suisses.

Un potentiel sous-exploité

"Sur les quelque 1,3 million de tonnes de petit-lait produites chaque année dans notre pays, une grande partie est utilisée pour l'alimentation des porcs", explique Doris, la directrice, au siège de l'entreprise à Jona. "Seul un quart est réintroduit dans la production alimentaire." En d'autres termes, ce "résidu" sain de la production fromagère est loin d'exploiter tout son potentiel. "C'est là qu'intervient notre vision", ajoute Christian. "En utilisant efficacement le petit-lait suisse, nous souhaitons apporter notre contribution à une production alimentaire durable." Pour ce faire, lui et sa compagne Doris collaborent avec plusieurs producteurs de denrées alimentaires qui transforment le petit-lait qui leur est livré. Ils ont ainsi créé trois gammes de produits "Wheycation" à consommer avant, pendant ou après le sport, avec des compositions nutritionnelles différentes.

Des essais en cuisine

Afin d'adapter de manière optimale les nutriments de leurs shakes protéinés et de leurs porridges aux besoins des athlètes, Doris et Christian font régulièrement des essais dans leur cuisine. Doris explique: "C'est la seule façon de concevoir des produits adaptés aux besoins des sportifs·tives." Elle verse à la cuillère plusieurs ingrédients en poudre dans un gobelet et y mélange de l'eau. "Et bien sûr, le mélange doit avoir bon goût." Elle prend une gorgée: d'après son sourire, c'est le cas!

Soutien à la conservation des espèces en Ouganda

La poudre protéinée se décline en trois arômes: fraise, cacao et vanille, ce dernier étant leur préféré. Doris et Christian achètent à dessein les gousses de vanille en Ouganda, auprès de l'entreprise suisse de commerce équitable Vanilla Dream. Cette dernière garantit que les cultivateurs de vanille de ce pays d'Afrique de l'Est reçoivent des salaires équitables. "De plus, elle consacre une partie de ses recettes à la protection des gorilles de montagne qui vivent dans la région", explique Christian.

De son côté, le couple d'entrepreneurs fait don d'un pour cent des recettes de la boutique en ligne "Wheycation" à des organisations qui s'engagent en Suisse en faveur de l'économie circulaire dans l'industrie alimentaire. Car c'est justement là qu'il y a encore des progrès à faire, comme l'explique Doris: "Les structures des branches laitière et fromagère suisses sont décentralisées. Pour collaborer efficacement et éviter le gaspillage, il faut davantage de soutien."

Tirer à la même corde

Doris et Christian souhaitent que l'énorme demande en produits protéinés soit davantage prise en compte lors de l'utilisation du petit-lait. "Si tout le monde tirait à la même corde, des producteurs·trices de fromage aux détaillants, il serait possible de boucler les cycles et d'endiguer le gaspillage alimentaire", affirme Doris avec certitude. "Et le meilleur dans tout ça: on obtient un produit durable et régional."